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Questions - Réponses

La maison d’édition Philippe Picquier a fêté ses 31 ans en 2017. À cette occasion, l’éditeur éponyme est venu à l’amphithéâtre de la Verrière d’Aix-en-Provence (Méjanes) à la rencontre des étudiants en Métiers du livre de l’IUT d’Aix-Marseille Université. C’est un exemple de réussite que nous sommes ravis d’avoir pu interviewer. Laissons la parole à Philippe Picquier !


1. Que représente pour vous l'édition ? Et être éditeur ?


Je pense toujours qu’une maison d’édition, c’est une maison qui est faite de rencontres que l'on provoque et auxquelles on croit. C'est dans ce cheminement que l’on découvre sans avoir cherché. La plupart des écrivains que j’ai publiés, j'ai cherché mais une grande partie a été trouvée par hasard. Les rencontres sont les clés de l'édition.



« Les rencontres sont les clés de l'édition. »



2. Comment choisissez-vous vos ouvrages ?


J’ai envie de dire, tout simplement les livres que j’ai envie de lire, même si je ne suis que le deuxième lecteur. Les textes que je publie ne sont pas les textes que les autres maisons publient, on ne partage pas les mêmes auteurs. Et j’avoue que les écrivains publiés par mes confrères ne m’intéressent pas. Ceux qui sont dans la maison d’édition sont des écrivains qui ont été rencontrés et choisis.



3. Qu’est-ce que ça vous fait d’avoir dépassé le cap des 30 ans pour votre maison d'édition ?


La consécration c'est d'avoir 31 ans, en tant qu'indépendant, d'être pratiquement la seule maison française sur ce genre littéraire, d’intéresser un partenaire asiatique. Une réussite qui s'est annoncée l'année passée, avec le mariage franco-chinois de la maison Picquier, qui sera encore présente, je l’espère, longtemps sur le marché du livre.



4. Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’aventure de la création de maison dans les années 1980 ?


C’est une période intéressante, les années 1980. Il y a une effervescence, une remise en question sur tout dans le monde de l’édition. C’est une époque où on s'aperçoit que les maisons ne font pas leur travail et laissent de côté les textes étrangers.

Je me suis retrouvé au milieu de ces maisons qui se créent mais suivent le même chemin sur la littérature étrangère. Malheureusement, on y retrouvait toujours les mêmes auteurs. Surtout les grands écrivains anglais, qui sont apparus chez Rivages, Acte sud, etc.

Les conclusions de cette époque : on était jeune, pas prisonnier d'une hiérarchie, d’une gestion trop lourde. On éditait d'une façon différente, que ce soit à travers le choix des textes, la mise en page, les couvertures, le marketing ou encore dans la force de conviction.



5. Quelle a été votre stratégie à l’ouverture de votre maison ?


Une chose importante pour un éditeur, c'est qu'il ne publie pas les livres pour-soi, il le fait pour les autres. Foncièrement, l'éditeur est généreux, il s’intéresse aux autres. On a décidé de faire une publication d’offres. Je publie quelques livres et au bout de 6 mois les livres marchent, mais il faut payer l’imprimeur ! En effet, j’avais oublié les fonds propres, la trésorerie. J’ai dû alors trouver un système commercial, puisque malgré le succès, j’ai été obligé de fermer la société au bout d’un an, en 1987.

Il me fallait plus de fonds propres, j’avais besoin d'un bon distributeur-diffuseur et c’est à ce moment que j'ai rencontré Harmonia Mundi, alors qu’il démarrait à peine dans le livre. Il m’a fallu alors de l’audace pour aller vers ce distributeur. Il vaut mieux essayer d’être le premier dans son village que d’être deuxième dans un énorme « machin ». Dès sa réouverture, la maison marche, on alterne les difficultés et les succès. L’ouverture du catalogue vers d’autres pays (Indonésie, Inde, Malaisie, Birmanie) m’a fait oublier que pour cette littérature il y a très peu de lecteurs. On essaye alors de créer un lectorat, on avait rien à perdre à essayer de les fidéliser. Nous sommes partis de plusieurs idées : s’il y a une marque, un nom, pas besoin de faire des tonnes de collections.



6. Quelle image avez-vous des collections ?


Créer une collection, c'est aussi difficile que de monter une maison d’édition. Les lecteurs sont des gens, comme moi, qui aiment lire et surtout qui lisent des littératures. Au fond le but est de défendre toutes les littératures, de donner le choix au lecteur en leur imposant une diversité et un panel de livres sous toutes leurs formes sans faire de distinction. On peut publier plusieurs genres sur un même mois, l’idée est de fabriquer des passerelles entre eux. Il faut que l’on s’impose comme guide pour le lecteur. Il faut donc éduquer le lecteur. J’ai commencé à publier des anthologies, à donner des repères historiques aux lecteurs et à fabriquer des liens.

Il a fallu que je m’entoure de sinologues, de traducteurs, de conseillers, etc. De fils en aiguille, j’ai fabriqué mes propres idées sur les littératures de ces pays. Il nous revenait de nous poser les bonnes questions : « Comment donner à lire, et quel livre donner à lire ? Quels écrivains proposer ? Qu’est-ce qui intéresse les lecteurs français ? ».



« Créer une collection, c'est aussi difficile

que de monter une maison d’édition. »



7. Quels sont les risques que l’on rencontre dans cette profession ?


Partons d’un exemple. Lors de mon premier travail dans une maison d’édition, au bout de trois mois, on sort un livre Une soupe aux herbes sauvages. À notre grande surprise c’est un grand succès, plus de 200 000 exemplaires vendus. Avec cet argent la maison a voulu grossir, embaucher. Je saute sur l'occasion, j’y reste un an. Ils ont déposé le bilan au bout de deux ans. Je traverse la rue et sur le trottoir d’en face il y avait une autre maison qui cherchait un responsable de fabrication. Je ne savais pas en quoi consistait ce métier, alors on m’explique que je vais être en charge du planning, de la mise en page, etc. Et j’ai accepté ! À cause d’une mauvaise gestion, cela ne durera pas plus d’un an. L’entreprise dépose à son tour le bilan. La vraie question que je me suis posée c’est : « Comment peut-on déposer le bilan en gagnant de l’argent ? »



8. Pourquoi avoir choisi de créer une collection de poche ?


Dans le but d’une remise à niveau, j’ai créé cette collection de poche. Je ne voulais pas faire comme mes confrères éditeurs, je ne voulais pas confier mes livres en édition de poche à quelqu’un d’autre. Et j’ai eu raison, la preuve, ça fonctionne bien, et le poche représente 50% du chiffre d'affaires des Éditions Picquier aujourd'hui. Il y a un mot en grec « métisse » qui qualifie une personne qui se sort toujours des situations les plus compliquées avec ruse et intelligence, roublardise même. Les petits éditeurs ont l’habilité de contourner les obstacles. À certains moments, lorsque l’on perd de l'argent, il faut faire bouger les choses pour augmenter le capital.



9. Pourquoi avoir décidé de laisser l’éditeur Thinkingdom entrer dans votre capital ?


Lorsque Harmonia Mundi a arrêté son activité secondaire, il a fallu imaginer quelque chose de différent pour assurer la viabilité de la maison. On a décidé de développer la maison d'édition encore plus et de parier sur des publications plus audacieuses. On s’est dit « Pourquoi ne pas essayer de développer un catalogue commun avec un éditeur asiatique, en faisant une alliance ? ». Je connaissais effectivement un éditeur chinois avec qui je m’entendais bien. De plus, une partie de son catalogue est tournée vers la littérature étrangère et notamment les écrits français. Il serait donc intéressant de créer une alliance, un des buts étant de faire des co-productions, comme des livres d’art par exemple. J’ai dis oui immédiatement. C’est une stratégie à la « chinoise », l’idée étant de trouver des idées de développement « contre le vent ». On a donc passé un accord avec cet éditeur chinois qui nous permet maintenant d’avoir plus de moyens.



10. Pourquoi avoir choisi la littérature d’Extrême-Orient comme fer de lance ?


Il se trouve que je me suis toujours intéressé à l’Extrême-Orient. Mes lectures se tournaient volontairement vers l'Asie, cela s’est fait naturellement. J’ai continué à approfondir le sujet, en me disant « Tiens, il y a des bouquins à publier ». J’ai également rencontré des jeunes gens qui s'intéressaient à l'Asie, qui m’ont renseignés, sur la traduction. J’essayais alors de comprendre comment fonctionne l'histoire de ces littératures. J’ai compris qu'il y avait une grande histoire littéraire dans ces pays, et que chez nous elle était seulement représentée par Kawabata. L'idée, au fond, c’était de faire ce que les autres éditeurs ne font pas. Effectivement, il y avait un marché de la littérature étrangère en France mais qu’en était-il de la littérature asiatique ou indienne ? En France, en Europe, en Occident, ce marché était un désert. Finalement, j’en savais plus que n’importe quel autre éditeur sur ce marché.



11. Quelles sont les réelles différences des pays d’Asie que vous traitez ?


La Chine a une histoire littéraire qui est très jeune. Elle a commencé son histoire littéraire en 1997, elle est embryonnaire ! Ce sont les chinois eux-mêmes qui ont fait un pas vers l’Occident. Concernant la littérature japonaise, c’est un brassage où je me sens à l’aise car elle est comme la nôtre, elle n'est composée que de styles. Quant à la littérature coréenne je la vois avec un œil différent car les écrits qui m’intéressent sont ceux qui datent d’il y a une dizaine d’années.


« J’ai essayé, je me suis inscrit en chinois,

mais je n'ai plus eu le temps. »



12. Avez-vous déjà appris une langue asiatique ?


J’ai essayé. Je me suis inscrit en chinois, mais je n'ai plus eu le temps. Le problème avec le chinois c’est que l’apprentissage doit se faire très régulièrement. Moi, je laissais traîner mes cahiers pendant des semaines, alors que l'apprentissage d'une langue c’est un travail constant. J’ai aussi vécu avec quelqu’un qui apprenait le japonais, et elle a dépensé beaucoup d’argent dans les post-it, il y en avait sur tous les murs pour apprendre les idéogrammes. C’est ça, le travail continu. Je me suis éloigné de ce genre de travail, et bref, je n’avais pas le temps. À l’oral, je n’y arrive pas non plus avec le chinois parce qu’il y a trop de tons et je n’ai pas l’oreille. En revanche, j’arrive à parler le japonais mais pas à l’écrire, c'est une langue que je trouve plus mélodique et plus amusante.

Et puis, le japonais et le chinois ce sont deux langues très éloignées, et si je les apprends, je dois aussi apprendre le coréen, non ?


Voilà pourquoi je n’ai pas appris ces langues au fond. Parce que si c’est pour faire semblant de parler, ou parler brièvement et mal dans la langue de votre interlocuteur, pour juste lire les gros titres de journaux, ou bricoler une lecture malencontreuse du roman que vous voulez publier, ce n’est pas assez exigeant. Si ce n'est que pour avoir une connaissance approximative et friable de la langue, à part pour répondre à une curiosité, je ne pense pas que ce soit plus enrichissant que cela. C’est mieux de s’entourer de gens qui ont une bonne connaissance des langues asiatiques.



13. Qu’est-ce que le numérique représente pour vous ?


Pour moi, ça représente du chiffre d’affaires en plus. Après c’est une usine à fantasme où tout le monde a voulu y gagner. Au moment où le numérique commence à se lancer -il y a une dizaine d’années- un agent qu’on surnomme « le requin », se dit « il y a une grosse aubaine sur ce domaine, les éditeurs vont payer ». Puis 10 ans après, on a eu notre contrat numérique en même temps que tout le monde, au même tarif, sans verser d’avance. Les auteurs se sont aussi dit « il y a de l’argent à se faire », mais si on regarde l’argent fait sur un livre on s’aperçoit que ça ne représente que 80-100€ sur le total des ventes. Ce n’est pas grand-chose, il ne faut pas rêver. On a aujourd’hui des contrats numériques pour les auteurs qui sont au même ratio que les contrats papiers.


Le problème avec le numérique c'est que notre chiffre d’affaires n’avance pas assez bien, parce que le marché ne grandit pas et que les gens lisent assez peu du numérique. Le marché s’est stabilisé et malgré le fait que tout le monde disait que le papier n’existerait plus dans quelques années, on coupe encore des arbres aujourd’hui. C’est pour cette raison que je dis que le numérique c’est une usine à fantasme. Une fois le fantasme passé, les choses vont se rééquilibrer et tout le monde fera plus de chiffre. On aura moins de difficultés à payer les droits d’auteurs sur ce type d’ouvrages, parce que, quand on doit 15 centimes à un auteur, c’est compliqué de savoir comment on va les lui verser. Actuellement, le numérique ne représente que 3% du chiffre d’affaires de la maison.



- Les étudiants de la Licence professionnelle Métiers de l'édition spécialité Édition

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